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Les fiches coureurs de la Ligue - 2024 Victoires, grands tours, faits marquants.
Jacques Esclassan, le gascon du soleil
Il s'adjugea le maillot vert du Tour de France en 1977. C'était, au temps de Merckx puis d'Hinault, l'un des grands sprinters d'un très riche peloton. Portrait de Jacques Esclassan, qui n'aimait que le soleil...
Du grand Darrigade, qui aurait pu être son père, il avait l'accent, le sourire, la tenue et le sprint. Mais autant l'un était blond, autant Jacques Esclassan avait le poil sombre des hommes du Sud. Il était né à Castres, en septembre 1948, dans une famille d'artisans. Quand il évoquerait ses premiers souvenirs, le champion se rappellerait une jeunesse à l'air libre, les camps d'éclaireurs et les courses sauvages. Parce que, très vite, il eut le démon du cyclisme ! C'était un gosse vif, nerveux, rapide. Ceux qui l'ont vu à ses débuts racontent qu'il gagnait chaque dimanche, devenant une référence, et presque un demi-dieu. Des chiffres ? Vingt-deux victoires amateurs en 1970, trente-trois en 1971, trente-deux en 1972, avant qu'il ne franchit enfin le Rubicon. Il faut dire que le professionnalisme le laissait circonspect... Beaucoup de voyages, beaucoup d'absences, des pavés, des coups de vent... Comme il le confierait à Jacques Colin, la gare de Gand, même rétrospectivement, lui donnait ' froid dans le dos '1. Ce routier-sprinter n'avait rien du Flahute !
Mais quel sprinter ! Et quel routier ! Tout bien pesé, un type solide, qui passait en force les longues bosses. On imagine son palmarès, s'il avait été un autre homme... Seulement, il était, pour toujours, un enfant du soleil qui s'étiolait au-dessus de la Loire. D'aucuns jugèrent qu'il manquait de caractère - une idée fausse, évidemment. Dans son fief, Jacques Esclassan révélait sa personnalité véritable, celle d'un Gascon à l'ancienne, capable et d'exigences, et d'insolences ! C'est ainsi que Richard Marillier, jadis directeur technique national, eut la surprise de recevoir, avant les Jeux olympiques 1972, une lettre tournée de la sorte : ' Comment se fait-il que je ne fasse jamais l'objet d'une sélection ? Je bats régulièrement des coureurs que vous sélectionnez, mais, moi, je ne suis jamais retenu... '2 Conquis, l'intéressé le prit au mot et l'envoya disputer le Tour du Maroc sous le maillot tricolore. En guise de remerciement, Esclassan, qui partait prendre l'avion, corrigea d'abord Régis Ovion, le champion du monde en titre, dans un très relevé Paris-Troyes. ' La course la plus facile que j'ai remportée ', expliqua-t-il néanmoins, devant les journalistes médusés3. Non, vraiment, ce Gascon-là ne manquait pas de caractère...
Autre évidence : il était bon compagnon, fidèle dans l'approche des gens et des choses. C'est au point qu'ayant signé en 1973 pour l'équipe Peugeot, il s'y trouvait encore en novembre 1979, au soir de sa carrière. Entre-temps, sept années sensationnelles qu'il aimait à regarder comme un morceau de sa vie, le plus glorieux, certes, mais ni le plus abouti, ni le plus essentiel... Pour autant, il s'évertuait à mériter son salaire, multipliant les relais pour Bernard Thévenet, son leader, et raflant consciencieusement quatre, six, neuf, dix, sept, quinze, six bouquets par saison. Les spécialistes préciseront qu'il enleva aussi le classement par points du Tour de France 1977 : son apothéose, symbolisée par une éclatante tunique verte. Mais cet esprit libre ne cachait pas son bonheur d'avoir également épinglé les classements par points de Paris-Nice (1973), du Tour de l'Aude (1973), du Midi-Libre (1976), du Tour d'Indre-et-Loire (1976), du Tour du Tarn (1977), du Dauphiné-Libéré (1978), du Tour de l'Oise (1978) et des Quatre Jours de Dunkerque (1978). Bref ! un parcours cohérent, qu'il ponctuait de victoires d'étapes et de nombreuses places d'honneur puisque son métier était de perdre un jour pour mieux s'imposer le lendemain... Au total, donc, cinquante-sept succès, malgré Luc Leman, Rik Van Linden, Patrick Sercu, Walter Godefroot, Roger De Vlaeminck, Cyrille Guimard et Freddy Maertens. Car telle était l'époque et tels étaient ses adversaires : des vedettes, des seigneurs, auxquels venait s'ajouter l'insatiable Eddy Merckx ! Puis il y eut Bernard Hinault, dont la puissance pilait littéralement les sprinters ! Dans ce contexte, que Jacques Esclassan ait triomphé si souvent prouve assez sa propre puissance.
Qu'aurait-il fallu à cet heureux vainqueur du Tarn 1977 pour parachever son œuvre? Ce que l'inoubliable Darrigade avait eu, comprenez une classique, le titre national et le titre mondial. Pour ce qui concerne le titre national, force est d'admettre qu'il se montra trop fébrile, hésitant à réclamer les pleins pouvoirs dans un groupe où ses amis s'appelaient Thévenet, Danguillaume, Ovion, Rouxel, Delisle, Sibille ou Bourreau. Quant aux classiques, il ne les courait point, hormis Milan-San Remo qui le séduisait par son climat et sa géographie. Du reste, en 1975, lorsque Merckx bondit au sommet du Poggio, il était là, près à contrer... Mais... mais il se retint, sûr que le Belge serait repris, sûr de retrouver sa chance au sprint... Or Merckx fila jusqu'à la ligne - et pour se gourmander, Jacques Esclassan s'obligea de gagner, dans la semaine, le Critérium National ! On ne dirait plus qu'il était sans panache.
Grand Prix de Monaco, Grand Prix d'Antibes, étapes au Tour de Corse et au Critérium National nouveau style : le Castrais débuta la saison 1979 en fanfare, sans masquer toutefois qu'elle serait la dernière. Il voulait rejoindre les siens, goûter d'autres aventures. Déjà il avait ouvert un commerce de cycles ; et l'on proposait son nom sur une liste électorale... Pour sortir la tête haute, il enchaina le Midi-Libre, le Dauphiné et le Tour, cueillit plusieurs accessits, puis s'en revint chez lui, où il faisait si bon vivre. Il n'aurait pas de regrets.
© Christophe Penot
Retrouvez chaque mois la suite de cette série de portraits dans La France Cycliste,
le magazine officiel de la Fédération Française de Cyclisme.
Esclassan en bref
* Né le 3 septembre 1948 à Castres.
* Professionnel chez Peugeot de 1973 à 1979.
* 57 victoires pros dont : une étape de Paris-Nice et une étape du Tour d'Espagne en 1973 ; Étoile de Bessèges en 1974 ; Critérium National, une étape de Paris-Nice, une étape du Tour de France en 1975 ; une étape de Paris-Nice, une étape du Tour de France en 1976 ; Tour du Tarn et une étape du Tour de France en 1977 ; deux étapes de Paris-Nice et deux étapes du Tour de France en 1978 ; G.P. de Monaco et G.P. d'Antibes en 1979.
1 Jacques Colin, Paroles de peloton, Solar, 2001, p. 161.
2 Ibid., p. 159.
3 Ibid.