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Les fiches coureurs de la Ligue - 2024 Victoires, grands tours, faits marquants.
André Foucher, comme flambeau, le grognard...
Sept participations aux championnats du monde, en cyclo-cross et sur route, puis un article d’Antoine Blondin firent sa légende ; une exceptionnelle longévité fit le reste. Portrait du Mayennais André Foucher, le paysan cycliste, brave parmi les braves…
Une figure de légende... Oui ! voilà quel homme demeure André Foucher, champion cycliste né à Cuillé, en Mayenne, le 2 octobre 1933, et le seul à pouvoir conter cette incroyable histoire : lui, seize ans, battu au sprint par son frère Francis dans une course du dimanche, à Marigné-Peuton — et lui, toujours, mais exactement cinquante années plus tard, qui se dégage sur le circuit de Marigné-Peuton pour terminer deuxième encore, devant cent quatre-vingt-dix adversaires ! Un exploit, bien sûr, — le millième — pour solder en 1999 une carrière absolument impayable. Imagine-t-on qu’il avait disputé sa première compétition à Gastine, en août 1948 ! Puis, quittant le maillot du Vélo Club de Craon, il s’était engagé sous les couleurs du Cyclo Club Rennais, devenant champion de France des indépendants en 1958. « Mon meilleur souvenir », répéterait-il souvent, de micro en micro[1]. Parce qu’André Foucher, déjà, s’était fait une réputation de routier solide et entreprenant, qui compensait son manque de vitesse par une santé phénoménale. Et quand on lui demandait son secret, le bonhomme à la chevelure plantée drue montrait ses grosses mains de paysan. « Je travaille. J’ai ma ferme ! »[2] Façon pour lui d’expliquer que le cyclisme n’était pas un métier ; plutôt une récréation virile et une manière louable d’arrondir ses fins de mois. Il n’oubliait jamais qu’à douze ans, juste avant de partir à l’école, il curait l’étable familiale, puis, un morceau de pain dans la poche, marchait jusqu’au village, distant de quatre kilomètres. De cette vie simple et ordinaire, il avait tiré beaucoup de force, beaucoup de sagesse — la même qu’on lirait bientôt dans les yeux de Raymond Poulidor... D’ailleurs, de course en course, les deux athlètes avaient appris à se connaitre, Poulidor s’affirmant en Auvergne, tandis que l’increvable Foucher passait indistinctement du cyclo-cross aux grands cols. C’est ainsi qu’en mai 1960, il se décida à troquer sa licence d’indépendant contre une licence professionnelle. Non pas qu’il voulût courir davantage, mais Paul Le Drogo, directeur sportif de l’équipe Ouest-Sud-Ouest, lui avait promis une place sur le Tour de France. Notre fermier avait fait ses comptes : un bout de contrat, complété d’une bonne moisson : la chose serait appréciable. Il signa en souriant.
Mal lui en prit : un écart d’André Darrigade, dans l’étape Limoges-Bordeaux, le 4 juillet, le jeta rudement sur le sol. Les médecins le relevèrent groggy, la bouche déchiquetée. Souffrant le martyre, le néophyte fut évacué sur l’hôpital de Bordeaux où il demeura plusieurs jours, incapable de s’alimenter... La Fontaine, au nom de la prudence, l’aurait sans doute renvoyé dans ses champs ; c’eût été négliger qu’André Foucher était de taille à prendre sa revanche. Il revint donc sur le Tour de France en 1961, finissant troisième de la quinzième étape, puis septième le lendemain, puis deuxième le surlendemain ! Bref ! d’authentiques performances, qui lui valurent une reconnaissance durable. Ne devait-il pas honorer sept sélections au championnat du monde, quatre fois en cyclo-cross et trois fois sur la route ? Polyvalence exceptionnelle, dont il donna un autre exemple dans le Tour de France 1964 terminé en sixième position, après avoir patiemment défendu le maillot jaune de son copain Georges Groussard. Sans ce dévouement, peut-être aurait-il décroché la victoire d’étape qui l’eût consacré, mais qui devait le fuir d’année en année (il arriva notamment deuxième à Bagnères-de-Bigorre, derrière Jimenez, en 1965, et deuxième à Digne, derrière José Samyn, en 1967). N’importe, avec sa mine cabossée d’honnête paysan, il marquait son époque. Son fleuron ? Un doublé dans le difficile Grand Prix du Midi-libre, en 1964 et 1965.
Mais, sa gloire n’était pas là... Sa gloire serait, pour ceux qui ont aimé la littérature, d’inspirer à Antoine Blondin le plus étonnant papier jamais écrit dans l’histoire du Tour de France. Le titre ? « Foucher dans le coin », transformé aussitôt en miraculeux « Coucher dans le foin » — chef d’œuvre rédigé à Royan, le lundi 27 juin 1966. Lorsqu’il ouvrit L’Équipe, l’intéressé n’en crut ni ses yeux, ni ses oreilles : une chronique éblouissante, digne des ballades d’Hugo ou du meilleur Rostand... Se pouvait-il que, lui, le petit, l’obscur, le sans-grade... Son mérite fut alors, non point de crâner, mais de suivre sa pente, qui l’inclinait naturellement à vieillir sur deux roues, comme Flambeau, le grognard, vieillissait chez le roi de Rome. Aussi vit-on André Foucher démarrer, en 1968, une carrière d’ex-pro, sous le label des amateurs « hors-catégorie ». De sacrés amateurs, soit dit en passant, puisqu’il affrontait, de Laval jusqu’à Brest, tous les espoirs du peloton français. Parmi eux, Philippe Dalibard et Marc Madiot, ses compagnons d’entrainement, qu’il épatait à cinquante ans sonnés ! Car il épatait vraiment, sentant la course avec un flair inimitable. « Cent fois au moins, il est venu me toucher l’épaule en disant : « Philippe, la prochaine, c’est la bonne. Prépare-toi », racontait jadis Dalibard[3]. Et la bonne partait, infailliblement, surveillée par le « Vieux » (son surnom) qui régentait les prix et les primes ! Pour le reste, bien plus qu’aux amphétamines, il s’en remettait à sa traditionnelle topette : un vin blanc très sec. « Même si, prévenait-il, ça fait pisser ! »[4]
André Foucher était un brave. Une sorte de hobereau, madré, mais sensé, et juste. Marc Madiot l’entend encore répondre, à un journaliste qui l’interrogeait sans manière, (c’était en 1998, dans l’hystérie de l’affaire Festina) : « Et vous, André Foucher, vous êtes-vous déjà dopé ? » Avec une modestie d’ancien médaillé, le Vieux prit le temps d’articuler : « Oui, gentiment ! »[5] Blondin aurait adoré.
© Christophe Penot
Retrouvez chaque mois la suite de cette série de portraits dans La France Cycliste,
le magazine officiel de la Fédération Française de Cyclisme.
André Foucher en bref
- Né le 2 octobre 1933 à Cuillé.
- Coureur de 1948 à 1999. Professionnel chez Bertin-Milremo (1960), Libéria (1961-1962), Pelforth (1963-1966), Mercier (1967).
- Principales victoires : Circuit de la Sarthe 1960 ; Prix de l’Amitié à Puteaux 1962 Grand Prix du Midi-Libre 1964, 1965. Lauréat du Challenge de France 1964.
[1] Témoignage d’André Foucher à l’auteur.
[2]
Ibid.
[3] Témoignage de Philippe Dalibard à l’auteur.
[4]
Collec-Cyclisme n° 36.
[5] Témoignage de Marc Madiot à l’auteur.